j'ai un peu tardé à me mettre devant mon clavier, trop faible pour cela. il a fallu qu'une amie vienne me voir, à grands renforts de... lait concentré sucré et de vin (^ ^) pour que je commence à me remettre de la petite expédition annoncée récemment. après coup, je me dis que la terreur était telle que j'ai marché à la panique, comme anesthésiée tellement j'avais la trouille. sur le coup, je ne m'en suis pas rendu compte mais j'ai continué de trembler tout le dimanche.
bon, ça a commencé à l'arrêt de bus. j'étais occupée à me débarrasser d'un vieux monsieur présentant d'évidents signes d'ébriété tels qu'une haleine fétide, des propos incohérents et une certaine tendance à la tactilité. ce monsieur voulait m'inviter chez lui. il commençait à argumenter, et les mystères de sa logique lui faisaient dire, pour mieux me convaincre, sans doute, d'accepter son offre, qu'il aimait la bière, lui, en ces termes : "moi, j'aime la bière !" quand une famille nombreuse est arrivée - 2 parents, 3 filles de moins de dix ans, 1 petit garçon dans sa poussette et 1 foetus dans le ventre (on dit foetus quand ça commence à ressembler à un ballon de foot ?). et toute la petite famille va à la pizzeria. le mâle dominé essaie de faire dire à son petit ses premiers mots ; "papa" ou "maman", ça manque cruellement d'originalité, pour lui, ce serait bien que ce soit : "allez l'OL !". le petit dans sa poussette fait son bernardo, regard hagard - comprend-il déjà la bêtise profonde de son géniteur ? le mystère planera... quoique si j'avais été ledit géniteur, à voir le regard dubitatif de son rejeton, j'aurais pris ça comme un affront. les filles, en tout cas, entament en choeur : "allez l'OL !". un peu plus loin, dans le bus, je croise un élève du lycée où j'avais été embauchée comme pionne et où l'on m'a remerciée juste avant la fin de ma période d'essai pour des raisons qui encore aujourd'hui m'échappent - de toute façon, ils avaient tous un balai dans le cul... un élève donc, et pas n'importe lequel, celui qui avait vomi sur sa prof de français lors de la représentation d'une merveilleuse pièce sur la déportation, en polonais surtitrée, sortie à laquelle je m'étais portée volontaire évidemment... rien que de voir sa gueule, ça m'a rappelé que ma vie était déjà chaotique et finalement, ça m'a donné du courage. il me demande où je vais. je lui dis "dans les bois".
ensuite, j'ai fait le guide touristique pour des passants qui me soutenaient que 999 était le chiffre du diable et juste après, j'ai terrifié un habitant du village qui avait ouvert sa porte pour des gamins déguisés en loup et en je sais plus quoi, halloween oblige, en lui demandant mon chemin ("c'est où, le chemin qui va vers le bois ?"). je me suis trompé de bifurcation, j'ai rebroussé chemin un ou deux kilomètres plus tard et évidemment, il fallait prendre par le cimetière. en arrivant au cimetière, grosse claque esthétique. devant moi, droit devant, un bois qui se dessinait, haut, compact, en ombre chinoise sur le ciel nuageux, éclairé par la lune presque pleine, pile au dessus du bois. devant, le silence, quelques oiseaux de nuit chantant de temps à autre. derrière moi, la vallée de la saone embrumée, baignant dans la lueur jaunâtre des lampadaires, les voitures, les trains, les monts très hauts et les maisons toutes petites, à tel point qu'on se demande comment des gens peuvent y vivre sans étouffer. j'ai commencé à marcher vers le bois et... comme les chemins semblent petits, entre les arbres.
j'y suis restée quelques heures, trois ou quatre, jusqu'à ne plus avoir peur. ensuite, je suis repartie, mais il était encore bien trop tôt pour prendre un bus. je voulais repartir à lyon à pieds mais ça faisait vraiment loin et mes pieds étaient tout engourdis par le froid. finalement je me suis installée sur un banc, près de la rivière, et j'ai essayé de dormir. l'ennui n'est pas vraiment un problème dans ces cas-là, les idées fusent ou plutôt elles se diffusent sur chaque perception.
au petit matin, j'ai attendu à un arrêt et finalement, je suis rentrée chez moi vers 9h, 14h après mon départ. la conclusion de ce périple est cinglante.
j'ai encore beaucoup de signes à éclaircir - grosse frustration ; les rêves des autres me sont très facilement interprétables, mais les miens présentent toujours cette opacité vexante... juste parce que c'est les miens ! ça va me demander encore beaucoup de travail. l'avantage de ce que je suis allée chercher, c'est qu'on court-circuite en agissant ainsi le fonctionnement normal, comme en posant des questions directeemnt à son inconscient. apparemment, je ne suis pas prête encore à tout comprendre. cependant, il y a quelque chose que j'étais apte à entendre et c'est entendu : il faut que je vive seule. j'ai donc rompu dès hier soir un lien qui dure depuis longtemps, trop longtemps, avec un vampire. il était la demeure ; j'étais la demeurée. une sorte de filet de sauvetage, un appui trop solide. il possède tout de ma vie et sortir de cette relation, c'est un peu repartir à la conquête de ce que je suis. recréer ce qui a été mangé. retrouver mon ombre. ce qui me permettra au passage d'emprunter la voie qui m'appelle depuis le début, celle du milieu, ni noire, ni blanche. les chemin qu'il me faisait emprunter devenaient trop sombres, bien trop sombres. merveilleuse amie, celle qui m'a apporté du lait et du vin !! voilà exactement mon programme.
le lien entre la peur et le désir s'éclaircit ; au fond, la peur n'est qu'un genre du désir, tension de l'être tout entier vers ce qui est absent, à savoir la douleur. distinguer avoir mal et avoir peur constitue ici un préalable ; quand j'ai mal, fondamentalement, je n'ai pas peur, c'est comme désirer un plaisir et être dans ce plaisir, la sensation physique n'a rien à voir. il faut que je forge des mots pour que ce soit plus clair, un mot pour le désir en tant que tension vers l'absent et un hyponyme signifiant le désir au sens restreint de ce que l'on se représente comme un plaisir absent, un autre hyponyme pour ce qui est du bien absent et un autre pour ce qui est de l'utile absent - voire du beau absent, peut-être. ces sensations diffèrent, je le sens, mais les mots manquent.
c'est la grande leçon, paradoxale, de cette virée : l'homogénéité du monde. ce qui a de l'importance n'est que projection du soi dans le monde. tout est plat mais l'oeil est difforme et sa difformité crée des monts et des crevasses là où il n'y a que rectitude. retrouver son regard de nouveau-né (l'enfant non, l'enfant est déjà trop vieux, déjà vicié) permet de voir le monde tel qu'il est et depuis la nuit de samedi à dimanche, j'en ai une intuition plus solide : le monde est tout plat, indifférent, indistingué. voilà le chaos auquel je veux toucher. j'en ai eu un aperçu. tout est plat et tout est changeant. identité et valeur n'y ont pas leur place. j'ai encore les yeux trop difformes pour avoir accès au chaos mais j'ai une idée du chemin à emprunter pour parvenir à cela. donc : feu !
autre effet bénéfique de la rupture - ni amoureuse, ni amicale... ne ne sais pas vraiment la qualifier... - : j'ai plein d'idées de textes. ça explose. j'ai avancé considérablement dans mon rapport aux mots.
un nouveau cycle commence. j'espère qu'à sa fin, l'ambiguité que je perçois encore aura disparu, dans ce sens qu'elle n'aura plus de sens. il faut que je me défasse des catégories, que j'abolisse le dessin des concepts, et peut-être même des choses elles-mêmes.